Le festival rock fut bien entendu l’occasion de voir plus d’un artiste et de goûter aux spécialités les plus variées du rock actuel. En faire un report intégral était une idée, mais la pluie en a décidé autrement, et nos vêtements trempés aussi. Du coup, Massive Attack : loupé. Superdiscount 3 de Etienne de Crecy : loupé… Bon ok, c’est pas très rock tout ça, mais ça balance autant. Vus par contre, The Dillinger Escape Plan. Pour le coup si j’ai fini trempé c’est de ma faute uniquement. Et si je n’ai plus de lunettes et que je plisse les yeux en écrivant, là c’est de la leur. Mais merde, j’en avais rêvé moi de m’allonger dans l’herbe à côté des potes en écoutant Massive, les yeux dans les nuages… Mais non. Restons sobres, soyons straight, soyons…enfin soyez.
Je me penche sur Primal Age. Pourquoi ? Parce que ce sont sûrement eux qui survivent le mieux à la lente dissolution de la scène hardcore ébroïcienne-normande, tout comme au poids des années. Il m’aura suffit d’en discuter avec l’un des As We Bleed (qui ont splité il y a quelques mois après quinze années de moulinage) pour prendre la température et entendre dire que Evreux se transforme en cimetière culturel. Et malgré les quelques locomotives qui traînent à droite à gauche, la relève peine à se faire entendre en Haute-Normandie. Once d’espoir quand même, Rouen se bouge paraît-il, les bars rouvrent petit à petit et les groupes se multiplient. Mais Evreux de mon cœur, tu deviens méprisable, toi et tes projets de KFC, tes rideaux invariablement baissés.
Alors forcément, pour le public du coin, c’était un peu l’événement. Dix ans que les gros (oui, ça se discute) de Primal Age espéraient gravir la scène du RDTSE. Ils en auront mangé de la scène avant de pouvoir faire la plus belle de leur propre localité. Et de la scène de choix ! Super Bowl Of Hardcore, Hellfest, Bloodaxe de Tokyo… Un peu partout dans le monde, les sniffeurs de carottes rapées (private joke) entendent parler de cette référence normande. Car effectivement, en plus de transporter avec eux quelques uns des riffs les plus ravageurs du genre, ils amènent également un propos très sérieux dans leurs bagages : protection animale et besoin impératif de changer notre alimentation pour plus de nature et moins d’industrie.
Néanmoins, leurs intimes convictions prennent moins le pas sur la musique qu’auparavant. Et à mes yeux, c’est agréable. Désormais le frontman Didier multiplie les messages qui soulignent l’importance des sourires, de la bonne humeur et du partage. Il parle bien de ses causes, mais effectivement, coup d’oeil à gauche, coup d’oeil à droite ; tout le monde s’éclate, tout le monde apprécie. La violence de leur musique se voit parfaitement contrastée par leur attitude positive, et les voilà qui contribuent à promouvoir la paix, à souligner le bon côté des choses. Je pense très personnellement que notre époque les remerciera. La folie humaine que soulignaient les groupes underground des 90’s, elle s’affiche désormais sur tous les écrans mainstream. Il ne reste plus grand monde dans la musique dite violente pour rappeler qu’on peut aussi apprécier autrui, se rendre compte qu’il n’est pas une télévision et qu’il a peut-être un peu de matière grise, en gros, pour prendre le contre-pied de temps profondément troubles qui disent littéralement : qu’est-ce qu’on est merdique quand on est un humain.
Alors les voir sauter partout et donner tout de leur personne, cela résonne comme un message d’espoir scénique. Façon « ne vous inquiétez pas, il existe d’autres choses à souligner que les mauvaises ». En tous cas je l’ai pris comme ça. On pouvait aussi déceler cette émotion qui les a traversés, du fait de cette scène, pas objectivement mythique mais importante à leurs yeux. Voilà que leur « hometown » leur rend hommage, en leur servant un public échaudé quelques instants plus tôt par la prestation épileptique de la légende Dillinger. Et en leur offrant, soulignons-le, deux passages au Rock. L’un le vendredi, l’autre le samedi, double-péné sur la Gonzo. La pluie ? Osef, elle n’a éloigné personne. Certains mêmes prenaient leur pied à se jeter dans la boue.
Du côté de la setlist, du solide. Blinded By Cruelty, Innocence (ze tube à écouter), A Fire Consumes My Heart… Ils ont donné les titres les plus emblématiques de leur réussite, et le public a répondu présent. Guitare à la main et pied sur le retour, Misty « la pute » a pu s’en donner à cœur joie avec ses riffs tranchants (un jour on utilisera d’autres adjectifs, promis) et son poing levé. Au premier jour, le frappeur fut pour sa part remplacé par un ami d’une autre formation reconnue dont je n’ai pu saisir le nom (?). Très efficace, il a amené quelques variations sans doute involontaires mais intéressantes, sans jamais dénaturer l’esprit Primal Age. Au lendemain, Mehdi retrouvait sa paire (de baguettes) et nous pouvions reconnaître son sens pointu du roulement furtif, du blast intransigeant. Dimitri, toujours impérial avec sa basse, et Didier, frontman rebondissant sur qui semblent glisser les années. Le collectif a trouvé son anti-âge naturel : la passion de la musique, et comme ils l’ont souligné, de la scène, de l’échange avec un public positif, souriant.
Je me souviens avec émotion de ma première rencontre avec certains de ces gars. En ce temps-là, ils officiaient dans un side project, Absone, qui fut ma première baffe hardcore-metal. Nerveusement j’avais ri face à leur pile de flyers pour la cause animale. Dimitri qui ne s’en souvient sans doute pas, m’avait alors fusillé du regard, assis sur sa chaise et bras croisés « Moi je trouve pas ça drôle. »
Je me disais, du haut de mes 14-15 piges « Ah bah p*tain, ils font pas semblant d’être bourrins ». Je n’avais rien pigé à la culture StraightEdge, j’en ignorais même l’existence. Dans ma tête, on n’associait pas spectacle musical et revendications affichées, pas à ce point du moins. Des années plus tard me voici au Rock, et j’apprécie personnellement que la cause puisse passer par une attitude positive et l’envie d’inspirer les gens, plutôt que par l’affichage d’images à vomir. C’est une marotte personnelle, difficile de comprendre comment on bonifiera l’humain à coups d’images choc et de traînées de sang. Pour moi, on va lentement habituer les gens à la barbarie, qui dès lors n’en auront plus rien à secouer ou se sentiront assaillis par une communauté d’esprit à laquelle ils n’appartiennent pas. Néanmoins, je respecte et même j’admire ceux qui par le biais de leurs tribunes rappellent que les animaux ne méritent pas ce qu’on leur fait subir au nom de la recherche cosmétique, pharmaceutique, ou bien encore par simple plaisir sadique.
Je ne pouvais pas faire l’impasse sur leurs convictions tant elles sont aux fondements de leur motivation. Chacun interprète et accueille comme il le veut ces messages, et chacun fait ce qu’il peut pour contribuer à l’amélioration des choses. Au passage, partager des vidéos de chatons aplatis sur facebook ne vaut pas un don à l’ALF ou Peta. Délestez-vous de quelques euros, ne vous surchargez pas d’images proprement malsaines, ou bien faites passer le message en informant vos proches, vos amis. Et toujours avec le sourire, l’espoir de faire changer les choses ; ce que m’a donné ce groupe l’espace de deux shows excellentissimes.
Alors voilà. En guise de live report c’est un hommage personnel, une vibration intérieure que je voulais coucher sur l’écran. A plusieurs niveaux, Primal Age est un symbole. Ils prouvent que l’indépendance paye en émotions ceux qui vivent d’une passion et non d’un business. D’une certaine façon, ils sont riches. Que la culture au service d’améliorations, c’est une idée qui a déjà fait son chemin, et qu’il serait bon de reprendre, toutes proportions gardées, sans ostracisme politique. Ils prouvent aussi que la musique n’a pas de frontières, en préparant après le Japon une tournée en Amérique du Sud, sans doute avec leurs amis de Mostomalta avec qui ils ont sorti un split à recommander. Ils y défendront un nouvel EP en préparation, et donc non, à ceux qui se posaient discrètement la question depuis des mois : Primal Age est toujours là et n’envisage pas encore de finir à l’hospice. Ils n’ont pas fini de rebondir, et pour Evreux, pour le hardcore metal français et tous ceux qui partagent les convictions de ces mecs, c’est important de le souligner, de le saluer, de l’encourager.
Au passage, un gros boujou à ces artistes qui ont tenu à rendre hommage aux intermittents. Le spectacle est une famille, et sans les intermittents, pas de concert, pas de culture.
Primal Age ont carrément interrompu leur premier set durant quelques secondes pour accueillir sur scène certains d’entre eux. En ligne, des croix de gaffer dans le dos, ils ont simplement montré qu’ils étaient là, comme des cibles, sans jamais pénaliser le public, sans jamais gâcher la fête. Plaisir de s’avancer vers le premier rang et d’applaudir bruyamment cette autre démarche d’importance. Croyez-moi, ils ont besoin d’être soutenus par d’autres que les artistes aussi. Par tous ceux qui en France à l’heure actuelle se rendent compte dans quel coulis de chiasse on enrobe le « droit du travail », tous secteurs confondus.
Au milieu de cette jolie fête qu’est le Rock, Primal Age a tiré son épingle et prouvé sa valeur une fois de plus. Ils repartent sur les routes pour représenter la Normandie, provoquer des sourires et de joyeux circle-pits. Avec vingt piges dans le buffet, et toujours autant de motivation, si ce n’est plus grâce à cette date qui leur a percuté le palpitant, ils continuent de faire bouger les têtes tout en les remplissant intelligemment.
Chapeau et merci.